Auteur | Titre | Œuvre | Siècle |
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Marcel Pagnol | Après le déjeuner... | La gloire de mon père | XX° |
Thème | Genre | Technique d'écriture | Forme de discours | |
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Mots-clés | Le rêve, l'imaginaire La nature, les arbres, les fleurs |
Roman | Métaphore | Narratif Descriptif |
Précisions | Implicite | Tonalité humoristique |
Après le déjeuner, lorsque le soleil africain tombe en pluie de feu sur l’herbe mourante, on nous forçait à nous « reposer » une heure à l’ombre du figuier, sur ces fauteuils pliants nommés « transatlantiques » qu’il est difficile d’ouvrir correctement, qui pincent cruellement les doigts, et qui s’effondrent parfois sous le dormeur stupéfait.
Ce repos nous était une torture, et mon père, grand pédagogue, c'est-à-dire doreur de pilules, nous le fit accepter en nous apportant quelques volumes de Fenimore Cooper et de Gustave Aymard.
Le petit Paul, les yeux tout grands, la bouche entrouverte, m’écouta lire à voix haute le Dernier des Mohicans. Ce fut pour nous la révélation, confirmée par le Chercheur de pistes : nous étions des indiens, des fils de la forêt, chasseurs de bisons, tueurs de grizzlys, étrangleurs de serpents-boas, et scalpeurs de Visages Pâles.
Ma mère accepta de coudre – sans savoir pourquoi – un vieux tapis de table à une couverture trouée, et nous dressâmes notre wigwam dans le coin le plus sauvage du jardin.
J’avais un arc véritable, venu tout droit du nouveau monde en passant par la boutique du brocanteur. Je fabriquai des flèches avec des roseaux, et, caché dans les broussailles, je les tirais férocement contre la porte des cabinets, constitués par une sorte de guérite au bout de l’allée. Puis, je volai le couteau « pointu » dans le tiroir de la cuisine : je le tenais par la lame, entre le pouce et l’index (à la façon des indiens Comanches) et je le lançais de toutes mes forces contre le tronc d’un pin, tandis que Paul émettait un sifflement aigu, qui en faisait une arme redoutable.
Cependant nous comprîmes que la guerre étant le seul jeu vraiment intéressant, nous ne pouvions pas appartenir à la même tribu.
Je restais donc Comanche, mais il devint Pawnie, ce qui me permit de le scalper plusieurs fois par jour. En échange, vers le soir, il me tuait, avec un tomahawk de carton, et fuyait ensuite à toutes jambes, car j’excellais dans les agonies.
Des coiffures de plumes, composées par ma mère et ma tante, et des peintures de guerre faites avec de la colle, de la confiture et de la poudre de craie de couleur, achevèrent de donner à cette vie indienne une réalité obsédante.
Parfois, les deux tribus ennemies enterraient la hache de guerre, et s’unissaient pour la lutte contre les Visages Pâles, les farouches yankees venus du Nord. Nous suivions des pistes imaginaires, marchant courbés dans les hautes herbes, attentifs aux empreintes invisibles, et j’examinais d’un air farouche un fil de laine accroché à l’aigrette d’or d’un fenouil. Quand la piste se dédoublait, nous nous séparions en silence… De temps à autre, pour maintenir la liaison, je lançais le cri de l’oiseau moqueur, - et « si parfaitement imité que sa femelle s’y fût trompée » - et Paul me répondait par « l’aboiement rauque du coyote », parfaitement imité lui aussi : mais imité – faute de coyote - de celui du chien de la boulangère, un roquet galeux qui attaquait parfois nos fonds de culotte.